Poèmes d'Annaba
Extraits de "Bienheureux les stériles"
III
Que m’importent
Vos laideurs
Vos malheurs
Vos douleurs
Vos langueurs
Vos humeurs
Vos terreurs ?
Que m’importent
Les malfaiteurs
Les corrupteurs
Les imposteurs
Les abuseurs
Les saboteurs
Les menteurs
Les voleurs…
Et autres tricheurs
Qui vous leurrent ?
Que m’importent
Les benêts et les naïfs ?
Importunez vos géniteurs
Et foutez-moi la paix !
IV
Tous ces pseudos-penseurs souriants, rassurants,
Qui ne parlent que d’humanité et de citoyenneté,
De pseudos-valeurs disparues dans le maelström
De la dictature mondiale de la Marchandise.
Des valeurs qui n’ont d’ailleurs habité que leurs rêves
Et jamais le mental brumeux de l’homo opprimens !
C'est ainsi qu'on va à l'abattoir la tête basse,
Les poings liés derrière le dos, sans réagir
Et en pleurant sur l'incompréhension du monde.
V
Je ne suis pas de votre monde.
Votre monde où le pouvoir que vous vous êtes octroyé
pour imposer le travail à l’humanité entière
me fait peur.
Les bonobos sont mes seuls frères.
Leur esprit est libre.
La plus grande erreur de l'humanité
C'est d'avoir inventé le travail.
Les bonobos ne besognent pas
et ils n'ont aucune crainte de l'ennui.
L'homme est tellement conditionné à s'occuper sans cesse,
que rien que l'idée de ne rien faire
l'angoisse… à mourir !
Comment un Dieu intelligent aurait-il pu créer
un homme aussi stupide ?
Le créateur du bonobo était sans doute un gentleman,
alors que l'homme est issu des pensées brumeuses
d’un Dieu péquenot, aviné et syphilitique.
VI
Je vomis des vipères évidemment lubriques
Sur les têtes rasées
de vos progénitures obèses et adipeuses
Afin qu’elles leurs inoculent un venin hallucinogène
et asphyxient ainsi définitivement vos avenirs incertains.
C’est pour me venger des couleuvres visqueuses
Que vous m’avez faites avaler démocratiquement de force.
VII
Creusées par l'étrave du bateau,
Les vagues s'enroulent sur elles-mêmes
En laissant derrière elles
Une traîne de dentelle d'écume.
Combien de mondes inconnus,
Combien de fantastiques abysses
Cache cette immuable immensité bleu marine ?
L'océan pourrait engloutir l'humanité entière,
Ses pompes et ses œuvres,
Ses crimes et ses ignominies,
Ça ne le perturberait pas plus
Que la fonte d'un iceberg.
Et après tous les rugissements,
Les vociférations, les cris, les pleurs
Et les vaines prières,
Quel calme enfin, sur terre et sur mer.
VIII
Ils sont déjà dans le troisième millénaire
Et ils croient encore que le soleil
Tourne autour de la terre.
Ils croient encore que les astres
ont été créés pour leur dérisoires destinées !
La race humaine est la vermine
La plus stupide et la plus nuisible
De cette terre perdue dans le cosmos,
Mais elle se prend encore pour le Peuple Élu.
Les hommes croient encore que le regard de Dieu
Les suit jusque dans leurs chiottes
Quand ils vont y déposer leurs crottes nauséabondes !
IX
La Nature ne m’a pas particulièrement gâtée,
elle ne m’a pas fait de cadeau.
Je ne vois pas pourquoi je lui offrirais
sur l’autel de la vie et de la mort,
ma progéniture,
afin qu’Elle continue son œuvre inutile et perverse.
La Nature est un vampire
qui se nourrit de chaque naissance.
X
Je suis un ardent partisan de la théorie des cycles.
En effet à l’origine il y avait les brutes,
puis les faux culs prirent le dessus.
De temps en temps les brutes reviennent,
puis les faux culs.
XI
Sur la route la nuit
A fond sur un scooter sans lumière
Deux jeunes sans casque.
Un jeu fréquent.
Des fois ils se tuent.
Quelques cons de moins.
Un jeu de hasard.
On y gagne l’oubli de l’ennui.
On y gagne la mort.
Pour l’automobiliste qui ne les a pas vus…
Et qui les percute en pleine vitesse…
C’est la loterie.
S’il a un soupçon d’alcool de trop
C’en est fait de lui.
Il est le seul coupable et le seul perdant
De ce jeu auquel il n’avait pas demandé à jouer.
Il avait oublié que tout automobiliste
A chaque instant sur la route,
Joue à la roulette russe.
Un jeu à se faire peur.
C’est le jeu de l’oie,
Où le naïf qui se prend
Pour un honnête citoyen…
Se retrouve pigeon plumé,
Dindon de la farce ou mouton tondu.
C’est la rançon du progrès,
La rançon de la liberté précaire
La rançon du n’importe quoi.
La rançon de la démagogie
Dans toute sa puissance,
Dans toute son incohérence.
XII
Tous les hommes sont laids
Toutes les femmes sont laides
Même les top models.
Surtout les top models.
Je les vois non comme elles veulent paraître
Mais comme elles sont : des artifices,
Des artéfacts, des faux-semblants, des subterfuges.
Des zombis masqués.
Et je vois surtout ce qu’elles représentent :
La servitude aux canons de la mode
La soumission à la Marchandise.
L’aliénation de la vie au labeur,
Quelle dérision !
Nous sommes tous des putes ;
Nous offrons des pans entier de notre vie
contre trois fois rien, de la pacotille,
des babioles, des gadgets, de la verroterie,
Et pour quelques dollars de plus,
Nous écrasons nos frères.
Et demain et toujours,
Nous dénoncerons nos voisins
A la Kommandantur…
Rien que par bêtise et méchanceté.
XIII
Entrer dans la vie,
c’est comme entrer dans un match de foot.
Il faut éviter les obstacles,
tromper l’adversaire, dribbler.
Pour toujours faire pénétrer le ballon dans les buts.
Toujours pénétrer le sexe féminin, c’est l’éternel enjeu.
Loin des hooligans de la vie,
Loin du bruit et de la fureur,
On peut rester sur la touche
et regarder à l’intérieur de soi,
là où règnent le silence et la paix.
XIV
Si j’étais un humaniste
je mettrais une balle dans la tête
de tous les enfoirés
qui font du mal aux innocents.
Mais à part les nouveaux nés,
s’il y avait des innocents dans ce monde,
ça se saurait.
Si j’étais un humaniste,
je ferais sans doute comme Yahvé,
je lancerais le feu du ciel
sur nos cités qui n’ont rien à envier
à Sodome et Gomorrhe.
Mais surtout si j’étais un humaniste
je ne mettrais aucun enfant au monde
J’éviterai ainsi d’être inéluctablement amené
à tuer la vermine trompeuse
qui inévitablement,
se sera précipitée sur la chair de ma chair
pour l’abuser et la dévorer.
XV
Tous les pédophiles du marketing
jamais ne sont passés devant le juge.
Pourtant combien d’enfants furent abusés
par leur saloperie de pub.
Nous vivons dans une société
où les publicitaires,
prêtres lubriques
du Dieu Marchandise,
peuvent impunément
violer les consciences.
Mais une société est un vase,
où se décantent crimes et violence,
et un jour, sous la pression, il explose.
XVI
Si des miroirs nous renvoyaient notre image intérieure,
on les briserait tous,
et on ferait des lois pour en interdire la fabrication.
XVII
Pourquoi parlais-je ?
Pourquoi pensais-je ?
Pourquoi ruminais-je toutes ces idées folâtres,
qui tels des papillons,
butinent de mémoire en mémoire ?
Pourquoi ces dérivations, ces divagations,
alors que le ciel attend patiemment
notre communion ?
Que je me fonde dans le Tout.
Vous vous gaussez bien sûr
d’une telle spiritualité de bazar.
Mais qui rira le dernier ?
Quand de l’intérieur du Tout
je vois les hommes escalader,
glisser et retomber sans cesse,
tel Sisyphe,
la montagne d’excréments
qu’ils défèquent depuis qu’ils se croient intelligents.
Vos œuvres ne sont que déjections,
Aussi monumentales
que le profond mépris d’humanophobe
où j’engloutis votre humanité grouillante malfaisante,
calculante et frénétiquement consommante.
Je n’aurais même pas à cracher sur vos tombes,
elles ont déjà disparu sous la marée noire incessante
de vos dysenteries industrielles.
Mais il est vain de maudire
les esclaves du Tyran Marchandise,
puisqu’ils s’autodétruisent,
par leur propre propagation.
C’est la revanche de Lucifer
Que Dieu ne voulu pas entendre.
C’est qu’en effet, aveuglé
par son incommensurable orgueil,
assourdi par les fanfares des archanges courtisans,
enivré par Bacchus,
Yahvé a roté l’homme
au bout d’une semaine de beuverie.
XVIII
Je ne mourrai que lorsque j’aurai terminé mon œuvre.
Mais mon œuvre,
comme la connaissance… est infinie.
Je disparaîtrai donc avant la fin de ma mission.
Sans regret, puisque mon œuvre,
n’a pas plus d’importance que le vol du papillon
dans la destinée cosmique.
Epsilon de chez epsilon, mon œuvre est dérisoire ;
mais je dois l’accomplir jusqu’à mon dernier souffle,
sinon l’univers ne me le pardonnera pas.
Je dois donner cette graine d’hellébore à l’humanité,
afin qu’il ne lui manque rien pour nourrir la terre
qui n’a d’autre finalité que de nourrir le soleil.
Et ainsi de suite.
À ta santé Hélios !
Et nique ta mère !
XIX
"Tout n’est que fumée",
dit l’Ecclésiaste.
Aucun chemin ne mène à Rome ;
heureusement ; nous n’avons rien à foutre à Rome,
ni nulle par ailleurs.
Tous les chemins mènent à une impasse.
Notre destin n’est que la voie
que nous choisissons d’emprunter.
La recherche du spirituel,
ou la recherche du plaisir sexuel ;
sont vaines l’une et l’autre.
Chacune comporte ses joies impermanentes
et ses peines inéluctables.
Le seul chemin absurde,
C’est celui choisi par la masse,
le chemin battu et rebattu,
la voie de la perpétuation de l’espèce,
le choix de la servitude,
la soumission au tyran Travail-Consommation.
L’enfermement dans la pire des impasses
au seuil de laquelle on ne peut même plus dire
dans un dernier souffle : " Au moins ai-je bien vécu ! "
Mais avec dépit et regrets : " C’est donc pour ça
que je me suis saigné aux quatre veines ? "
XX
2006, une année anniversaire.
Il y a cent ans le terrible et irrémédiable mal,
Est percé à jour par Aloïs Alzheimer.
Rappelez-vous bien de son prénom
et de l’orthographe de son nom.
Ce sera le signe que votre mémoire est bonne.
Malheureusement.
Parce que grâce à cette maladie on oublie tout.
On oublie les méchancetés que nous avons subies.
On oublie nos faiblesses
que nous n’avons pas eu le courage de combattre.
On oublie toutes ces occasions manquées.
On oublie les regrets, les remords.
On oublie ces joies qui n’ont pu durer toujours.
On oublie le mal qu’on a fait
Et le bien qu’on aurait pu faire.
Enfin sorti du maelström des souvenirs inutiles,
on baigne enfin dans la douce quiétude.
On oublie le clair sourire d’un enfant
et la sombre misère du monde qui l’attend.
On oublie la vie, on oublie la mort,
et ainsi elles ne font plus peur.
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